Autorité et narration (1/2)

Un billet en deux parties cette fois-ci. Celui reprend pas mal d’éléments autour des notions de partage d’autorité et de narration. Pas forcément des techniques à proprement parler, mais plutôt un espèce de survol de quelques-uns des modes de partage possibles. Ceci vient également du constat que dans plusieurs jeux du Gamechef 2013, la distinction n’était pas forcément claire et que ces derniers auraient sans doute gagner à être soit un peu plus clairs, soit à explorer d’autres modes de partage.

La seconde partie de ce billet, qui parle de narration se trouve ici.

Ce billet double doit pas mal à celui-ci de Frédéric Sintes, dont je vous conseille la lecture. Nos avis divergent, mais le fond est là, et il explique tout ça très bien.

L’autorité :

 

Parmi les fonctions du système de jeu, au sens large – donc peu importe que cela soit écrit dans les règles opérationnelles ou que cela soit une pratique ajoutée par les joueurs -, il y a notamment celle qui consiste à faire en sorte que la partie ne soit pas bloquée ou se débloque facilement en cas de problème. C’est un problème qui est présent dans de nombreux jeux et sports. Principalement tous ceux où le matériel de jeu ne rend pas impossibles ou directement visibles les coups interdits (comme dans un jeu vidéo ou dans le morpion par exemple).

L’autorité, c’est essentiellement ça : un ultime recours pour se sortir de l’ornière. Dans une telle situation, qui tranche? Qui décide ? Qui a le dernier mot ?

Elle peut être notamment :
+ aléatoire : en cas de désaccord qui n’est pas gérable ou géré dans un délai jugé raisonnable, on détermine aléatoirement la suite des opérations / qui à tort ou à raison afin de pouvoir continuer la partie (Warhammer 40k et la règle du d6). Idéalement, cela s’accompagne d’une mise au point et d’un apprentissage à la fin de la partie.
+ concentrée en une seule personne ou un groupe de personne tranche pour l’ensemble de la partie de la partie. En général, le(s) meneur(s) de jeu.
+ indéfinie : la procédure à suivre en cas de blocage n’est pas claire et soit une solution s’impose rapidement (système 0/fantôme, négociation, etc.), soit la partie a de fortes chances de ne pouvoir jamais reprendre. Une autorité peut être définie de façon explicite.
+ limitée* : il n’y a pas de dépositaire de l’autorité à part l’application exacte des règles, ou celui-ci est autorisé à trancher, mais que tant qu’il respecte des règles qui s’imposent à lui. Ce sont celles-ci et uniquement celles-ci qui font autorité. Il peut s’agir de règles écrites (un manuel), ou d’élément définis préalablement (lignes, voiles, simple accord, etc.).
+ partagée entre les différentes personnes de la table.

Lorsque l’autorité est partagée, cela peut être de façon :
+ alternée : chacun a la dernier mot durant une phase particulière, que celle-ci soit définie par les règles ou aléatoirement. C’est souvent le cas des jeux à MJ tournant ;
+ distribuée : le dépositaire de l’autorité accepte d’en déléguer l’exercice à d’autre(s) sur un sujet spécifique, à un moment particulier, ou pour arbitrer certains types de conflit. Selon les cas, il peut avoir le dernier mot ou pas en cas de désaccord avec la personne à qui il a délégué l’exercice de l’autorité (Musar, Prince Valiant, mais des créations de perso « déléguées » par le meneur à un autre joueur qui encadre les débutants, ou des phases un peu décalées ou chronophages, comme la magie à Rêve de dragon ou la matrice dans certains jeux cyberpunk) ;
+ misée : l’autorité sur une partie du jeu est incertaine et peut-être par exemple, l’enjeu d’un conflit entre participants, de la décision d’un joueur ou de la gestion d’une ressource (Fiasco). Effectivement, le terme de « misée » est pas très heureux.
+ négociée : l’ensemble du groupe doit se mettre d’accord pour trancher. En général, tous les participants ont en théorie le même poids. C’est rarement le cas en pratique, mais cela n’en reste pas moins la façon la plus consensuelle de prendre une décision ;
+ réservée : l’autorité est attribuée d’une façon ou d’une autre, sauf sur certains points qui sont considérés comme la chasse gardée de quelqu’un d’autre qui a alors toute latitude pour trancher (tabous par exemple).

*Cette forme est selon moi LE mode de partage de l’autorité traditionnel en JdR, même s’il n’est peut-être plus aujourd’hui le plus populaire (je n’en sais rien).

 

Quelques éléments complémentaires, dans le désordre

 

1. Ces termes ne sont généralement pas fixés (et on s’en fout un peu). Ils ne sont là que pour faciliter la lecture et montrer qu’il existe pleins de possibilités. Pas pour jouer à maître Capello.

2. Même si j’ai essayé de lister des cas plutôt balisés, il y a sans doute des hybrides, des cas qui ne s’excluent pas forcément, etc.

3. L’autorité telle que définie doit être consentie pour avoir une quelconque valeur. Ce n’est pas l’autorité qui génère le consentement, mais le consentement qui génère l’autorité.Celle-ci cesse d’exister au moment où le consentement disparaît et aucune forme de partage d’autorité ne peut s’imposer à quelqu’un qui décide d’arrêter la partie.

4. Ce consentement est basé sur plusieurs éléments incluant les dynamiques sociales au sein de votre groupe, mais aussi une forme de confiance.

5. Cette confiance implique notamment le fait de croire que le dépositaire de l’autorité rendra la partie plus intéressante dans les faits et qu’il aura une attitude raisonnablement « fair-play ». Si la personne dépositaire de l’autorité fait le contraire, il est très probable que les joueurs ne consentiront pas à se laisser faire très longtemps et que la partie s’arrêtera.

6. Les dynamiques sociales au sein de votre groupe peuvent très bien faire que le dépositaire « officiel » de l’autorité, même concentrée, n’arrive quand même pas à avoir le dernier mot. C’est relativement courant, surtout en présence d’une autorité parallèle indépendante de la partie (expertise sur le jeu, rapport hiérarchique dans la « vraie vie », etc.).

7. L’autorité peut évoluer au sein des phases de jeu. Ainsi, il n’est pas rare qu’un meneur ait toute autorité pour créer un scénario ou choisir lequel acheter, mais doive se conformer aux règles pour le faire jouer. S’il y a une forme traditionnelle de répartition de l’autorité, c’est sans doute celle-là.

8. De la même façon, il n’est pas rare qu’un dépositaire de l’autorité ne l’assumant, mais souhaitant l’exercer se cache derrière une prétendue autorité limitée (« ce n’est pas moi, c’est le scénario« , « j’applique les règles« ), oubliant par exemple l’impact qu’a eu sa préparation (choix du scénario, de l’appliquer, de la règle à utiliser, des enjeux, etc.).

9. Formelle ou informelle, rédigée ou pas, la façon dont l’autorité est répartie est une règle. En tant que telle, elle peut être soumise à interprétation, contestée, voire, ironiquement, nécessiter une procédure pour trancher. Ainsi, si la règle est de trancher par consensus (autorité négociée), que se passe-t-il si les joueurs n’arrivent pas à se mettre d’accord, ou, dans le cas d’une autorité limitée, les joueurs ne sont pas d’accord sur le sens de la règle ?

10. Dans la quasi-totalité des cas, les jeux à MJ tournants impliquent un partage de l’autorité, mais plus rarement un réel partage de la narration (cf. partie 2).

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